Imaginales 2021 : ... Pour en finir avec le sexisme dans l'édition

Accueillir, écouter, protéger...
Pour en finir avec le sexisme dans l'édition

 

Encore une fois, les avertissements de rigueur : je retranscris ici les notes que j'ai prises pendant la conf ; il est donc tout à fait possible que j'aie fait des contresens et tout à fait certain qu'il manquera des bouts (surtout que j'ai dû me barrer quelques minutes avant la fin because j'avais un train à prendre) 😁 (sans parler du côté décousu et de ma difficulté à me relire 😳). Les éventuels commentaires entre [ ] sont de moi, et les passages entre guillemets sont censés être des citations.

Intervenants : Lionel Davoust, Betty Piccioli, Silène Edgar, Jérôme Vincent.

Modératrice : Sylvie Miller.

Remarque très con : Parce que c'est vraiment plus pratique pour moi, je désigne tout le monde par ses initiales. Je tiens à préciser que SM = Sylvie Miller dans tout cet article, c'pas de sa faute si elle a les mêmes initiales que Marsan.

Remarque plus intelligente : suite à cette table ronde (dont un enregistrement est visible sur fessebouc, à défaut d'une meilleure plate-forme), entre autres choses, ActuaLitté a publié un article sur le sujet, si vous voulez en savoir un peu plus.

 

JV, BP, SM, SE, LD.


SM commence par un rappel des faits et de l'enquête Mediapart sur le sexisme dans l'édition.

BP : A l'automne 2019, avec l'affaire Matzneff, on a commencé à évoquer le sujet du sexisme dans l'édition. Elle a reçu plein de témoignages de victimes de Marsan, même s'il n'avait pas été nommé*. Des journalistes ont commencé à s'y intéresser, et Médiapart a contacté BP et d'autres personnes à ce sujet, ce qui a donné un article**, paru en avril.

SM : Huit autrices de Bragelonne ont interpelé leur éditeur suite à cela, mais la réponse a été un silence assourdissant.

SE : Marsan a été ignoble avec elles dès 2018 : "tu ne peux pas aller aux prud'hommes, et même si tu y allais, tu n'y gagnerais pas".
"J'avais peur".

BP : On ne savait pas qui allait nous soutenir, ni si on allait être crues. La presse nationale n'a que très peu relayé, contrairement à d'autres #MeToo. Par ailleurs, il y a des vides juridiques énormes dans le monde de l'édition.
Il y a eu une censure et une pression énorme sur les autrices de Bragelonne. "Tant que ça ne se voit pas sur les ventes, c'est pas grave". Mais sur les réseaux sociaux, il y a eu un mouvement #BoycottBragelonne [j'en ai parlé un peu ici], et les autrices ont cherché à "partir avec leurs livres" après consultation de juristes. Et elles ont contacté directement les actionnaires de Bragelonne en les mettant face à leur complicité de fait.
C'est ça qui a enfin précipité la fin du "règne" de Marsan.

SM rappelle la réponse initiale de Marsan, qu'on peut résumer à : "je n'ai rien fait et tout le monde est jaloux de mon succès". De plus, c'est dur d'attaquer en justice pour des mains baladeuses et des remarques sur les décolletés [quand on voit déjà la difficulté de porter plainte pour un viol avéré...].
Quand on est auteur, on n'a pas le même contrat qu'un salarié, qui, lui est protégé par le Code du Travail (le contrat d'un auteur relève du domaine économique). En conséquence, comment se défendre face à un tel vide juridique ?
Sans parler du problème de faire face à la minimisation des faits, de ne pas être cru, du "si vous coulez la maison d'édition, les autres auteurs seront dans la merde"...

SE a eu de grandes difficultés avec l'organisation du speed-dating***, parce que Marsan se comportait mal et que Stéphane Wieser, le directeur du festival, a refusé qu'on cesse de l'inviter [😡].
"Quand j'ai été protégée, ça a toujours été par des femmes ; les hommes l'ont fait à postériori, parce qu'ils n'étaient pas au courant ou parce qu'ils n'osaient pas" [je n'ai hélas pas pu noter toute la déclaration de SE, mais elle est disponible ici].
Beaucoup d'hommes minimisent, ne veulent voir que les bons côtés. ECOUTEZ-NOUS ! Le comportement de Marsan était inacceptable, indépendamment d'une condamnation en justice. On ne devait pas avoir besoin de l'avis d'un juge pour voir que ce n'est pas normal !

SM : Dès le 30 avril, LD a répondu pour condamner Marsan sur son blog, et a été un des premiers à réagir [et je trouve que le silence a été assez assourdissant aussi de la part des auteurs mâles en général, surtout ceux publiés chez Brage'... 😠].

LD : C'est normal d'en parler et de trouver ça inadmissible. Il y a des relations de domination qui peuvent se mettre en place avec les primo-auteurs, ce qui est propice à des dynamiques malsaines.
Même en étant un homme et pas publié chez Bragelonne, il trouve que c'est intolérable. "La justice n'est pas en faveur des victimes".
Il voulait exprimer son soutien aux victimes et s'adresser aux hommes, qu'ils arrêtent de s'offusquer et de sortir du "Not all men", qu'ils comprennent le problème. "Check your priviledge".

BP : L'intervention de LD a crédibilisé leur parole, mais c'est un énorme souci, parce qu'il "fallait" la parole d'un homme pour crédibiliser les femmes victimes.

SM : ActuSF [dont JV est un des responsables] a aussi pris position très vite.

JV : En tant que site d'actualité***, ActuSF ne pouvait pas ne pas en parler, mais ils tenaient à ce que leur avis soit inattaquable d'un point de vue légal. "En tant que média, on a fait notre job".
Ils ont aussi reçu des coups de fil d'autres éditeurs qui ne voulaient pas prendre position.

SE : C'est le problème de la validité de notre parole en tant que femme. Ce n'est pas parce qu'elle écrit en Jeunesse qu'elle est naïve [elle rappelle son background, les prix qu'elle a reçus, sa carrière d'autrice], et elle en a marre qu'on nie sa légitimité juste parce qu'elle est une femme. Il y a quelque chose de systémique sur lequel on doit s'interroger.

JV rappelle les statistiques sur la place des femmes dans l'Edition : en SFFF, il y a un tiers d'autrices****, qui sont beaucoup en Jeunesse ou en Fantastique (bit-lit). On se rapproche de la parité, mais on n'y est pas encore.
Il évoque l'Observatoire de l'Imaginaire [source de ses chiffres] et pense qu'il faudrait aller plus loin dans les statistiques et les outils de réflexion.

SM évoque le cas de Samantha Shannon***** : Le Prieuré de l'Oranger est classé comme Adulte en VO... mais en Jeunesse en France et en Europe. Pourquoi ? Parce que c'est une femme.

BP est au conseil syndical de la Ligue des Auteurs Professionnels******, qui a accueilli beaucoup de victimes de Marsan. En France, on a peu de statistiques sur le "qui sont les auteurs", même en littérature générale. Mais 40% sont sous le seuil de pauvreté.
Sinon, les hommes sont mis en avant même quand ils sont minoritaires, comme en Jeunesse. C'est toujours les hommes qui sont invités, interviewés, primés******* [et blancs, aussi, même si c'pas le sujet].
Et c'est toujours plus dur quand on est face à des gens qui ont la possibilité d'exercer de la domination sur nous. "Arrête de réclamer tes à-valoirs en retard, sinon plus personne ne voudra bosser avec toi".

SE : En Jeunesse, on est moins bien payés qu'en Adulte [et on doit souvent partager son faible pourcentage de droits d'auteur avec l'illustrateur]. En plus, comme on manque de chiffres et de données, on manque de points de comparaison.
On se demande aussi dans quelle mesure c'est parce que nous sommes beaucoup de femmes, en Jeunesse.

SM : Dans ces contrats, on a une partie forte et une partie faible. Dans un boulot salarié, on n'a pas besoin de pleurer pour être payé tous les mois.

BP : On n'a pas accès à nos chiffres de vente, en France ; seuls les éditeurs ont accès à ces chiffres (et les sociétaires de la SGDL).

SE : Les autrices, vues comme inférieures, sont encore plus pénalisées. On a tous à y gagner de dialoguer (comme avec la Ligue et les autres syndicats).
Pendant les speed-datings, elle fait de l'information, à la fois sur les dangers sexistes et les abus des contrats éditoriaux, et évoque à nouveau le refus de Stéphane Wieser de cesser d'inviter Marsan.
Il faut des chartes, des références, des gens pour former et épauler les auteurs.

SM : En cas de problème, peu de festivals ont une charte de conduite [il y en a une aux Utopiales], où les contrevenants sont mis dehors. Stéphanie Nicot est en train de travailler pour en mettre une en place aux Imaginales.

LD : Aux Etats-Unis, ces chartes existent depuis longtemps. Il y a des lieux d'écoute et des endroits où s'isoler au calme, on peut s'en inspirer.

SE : En Aquitaine, pour recevoir des subventions, il y a des chartes à respecter.

BP : Ce n'est pas normal que Stéphanie Nicot se heurte à des résistances dégueulasses.
La Ligue travaille en ce sens et le SNL a enfin commencé à bouger sur le sujet de comment bien se comporter, puisqu'il faut apparemment le réapprendre.
Il faudrait créer une charte nationale pour les festivals, avec une personne référente en cas de problème, pour être protégées et éventuellement faire virer l'agresseur.

SM évoque le rôle du secteur culturel en tant que véhicule de la culture. Cf le trope de "la femme qui finit par céder si on insiste assez" et autres exemples de la culture du viol.
Nous devons nous interroger sur la parité de nos productions.
 
SE : Les femmes représentent 60% du lectorat. On a envie de lire autre chose que "des gros mecs poilus qui écrasent des bonnes femmes avec leur grosse épée". Il faut changer les choses dans ce qu'on donne à lire aux gens, et aux enfants en particulier. Ca ne doit pas être porté que par les femmes, mais on le fera. 
 
LD : Il faut faire attention à ce qu'on véhicule (cf la "validation en temps réel" dont il a parlé la veille). Il faut faire attention à nos propres biais et angles morts. Ne serait-ce que par conscience artistique.

BP : La représentation est très importante. Elle-même a grandi avec peu de héros féminins [et moi, donc !]. Le personnage de base est un homme blanc en bonne santé, entre 20 et 40 ans... mais en vrai, ça représente 10% de la population. Il faut parler des autres 90%.

LD : On lui demande s'il met beaucoup de lui dans ses personnages hommes, mais il se sent plus proche de ses femmes (ses hommes sont souvent des salauds).

JV : Il ne faut pas avoir peur de se remettre en question, ni de voir qu'on s'est trompé.

SM : Observez. Accueillez. Protégez.






* : pour clarifier : la parole publique évoquait le harcèlement sexuel dans l'édition, sans citer de nom. Les victimes, en revanche, ont répondu "moi j'ai été victime de Marsan".

** : il faut être abonné pour y avoir accès.

*** : ActuSF est un éditeur ET un site d'actu SFFF.

*** : = rencontres en format court entre auteurs (débutants) et éditeurs, organisées tous les ans aux Imaginales.

**** : données de 2020.

***** : que j'ai par ailleurs eu l'occasion de rencontrer, vu qu'elle était invitée cette année ; elle est très sympa 🙂

****** : à laquelle je suis adhérente, d'ailleurs.

******* : cf les interventions d'Estelle Faye pendant la conférence sur les héroïnes.

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