CocyConv 19 : Le contrat d'édition

Voici donc les notes que j'ai prises sur la conférence donnée par Morgane (alias Dorian Lake) des éditions Noir d'Absinthe, à propos de ce qu'il faut savoir sur un contrat d'édition.

Elle s'est basée pour cela sur l'article de la Société des Gens de Lettres (SGDL) sur le sujet, en particulier leur contrat commenté. Je rajoute aussi, selon ses conseils, un lien vers le guide des auteurs, élaboré par la SGDL et le Centre National du Livre (CNL), ainsi que vers la SOciété Française des Intérêts des Auteurs de l'écrit (SOFIA), où il est bon de s'inscrire dès qu'on a publié son premier ouvrage (à compte d'éditeur - je ne crois pas qu'ils gèrent les autoédités ou autres). La SOFIA propose d'ailleurs à ses membres des formations défrayées (💗) sur le métier d'auteur.

J'espère ne pas dire de bêtises dans cette retranscription 😳 n'hésitez pas à me le signaler en commentaire si vous en voyez. Les phrases en italiques sont des citations de Morgane, les remarques entre [] sont de moi.

*


Tout d'abord, il existe deux types de droits de l'auteur* :
  • Les droits patrimoniaux, qui donnent lieu à rémunération. Le contrat d'édition (CE) gère leur cession.
  • Les droits moraux, qui sont inaliénables** (et dont héritent aussi les descendants de l'auteur à la mort de celui-ci). Ils peuvent jouer, par exemple, pour une adaptation en BD.
Le CE est en défaveur de l'auteur, quelles qu'en soient les clauses. Même lorsque le CE suit les recommandations de la SGDL et de La Charte***, ça veut implique juste qu'il est "le moins en défaveur possible". En cas de contestation d'un CE, ça se passe devant un juge [et ça a un prix, que tout le monde ne peut pas se permettre de payer].

Par exemple, un éditeur peut annoncer le nombre de ventes qu'il veut ! C'est un chiffre très dur à contrôler. Par exemple, s'il a vendu 2.500 exemplaires d'un livre, il peut en déclarer 1.500 devant l'auteur, mais 5.000 auprès de la presse ! [Je ne dis pas que c'est le cas général, hein, juste que l'absence de contrôle laisse la porte ouverte à un éditeur malhonnête 🙁]
Et même en étant honnête, ça peut être un nombre difficile à évaluer sans erreur.

Bref, le CE a vocation à vous aider à voir à qui vous avez affaire et si vous pouvez avoir confiance dans votre éditeur.

Les éditeurs ont leur propre syndicat, le Syndicat National de l'Edition (SNE) - ses adhérents sont surtout de grosses maisons d'édition (ME). Il négocie des accords avec (entre autres) la SGDL, ainsi que le respect d'un certain formalisme.
Côté auteurs, on trouve la Ligue des Auteurs Professionnels, et des organismes comme le Syndicats National des Auteurs et Compositeurs (SNAC).

Pour revenir sur le CE, certaines clauses doivent faire partie du contrat. Si ce n'est pas le cas, le contrat peut être rompu 😈

Par exemple, il doit y avoir deux parties différentes [ou un contrat + un avenant, autant que je sache], pour l'édition papier et l'édition numérique. De même, les droits audiovisuels doivent faire l'objet d'une annexe distincte. On conseille donc de ne les céder qu'à des éditeurs qui s'en serviront réellement.

Il faut , en revanche, toujours refuser la clause d'exclusivité****, même quand on n'écrit que dans un seul genre (que de la SF, que de la Fantasy...).
En revanche, la signature du contrat implique l'exclusivité sur l'oeuvre qui en fait l'objet, ainsi que, dans une certaine mesures, sur l'univers dans lequel elle se déroule. Autrement dit, si vous publiez votre tome 1 chez X, vous ne pourrez pas publier le tome 2 chez Y.

De même, il y a une clause de garantie, par laquelle l'auteur certifie qu'il a bien tous les droits pour publier son livre.

Le CE est un contrat "de gré à gré", ce qui implique qu'il soit extrêmement modulable (contrairement à un contrat d'adhésion, par exemple). On peut, par exemple, demander à y rajouter un droit de regard sur la couverture. 
Le CE est là pour ne pas céder trop de droits à l'éditeur. C'est un exercice commercial à langage juridique, mais pas un contrat juridique (il est valable juridiquement, hein, mais il ne faut pas le considérer uniquement comme du droit/juridique).

Au passage, si jamais, malheureusement, l'éditeur est certain de devoir arrêter son activité, il faut qu'il écrive une lettre certifiant qu'il renonce à ses droits, afin de ne pas empêcher l'auteur de republier ses oeuvres ailleurs : les délais pour la fermeture effective de la maison d'édition peuvent être très longs.

Pour revenir aux différentes clauses : la "clause d'exploitation permanente et suivie" implique que l'éditeur doit utiliser les droits qui lui ont été accordés (c'est un peu moins contraignant pour les éditeurs qui font de l'Impression à la Demande (POD, Print On Demand), [comme Noir d'Absinthe ou les Editions du 38]). Et il faut que le bouquin (papier) soit référencé sur Dilicom (base de donnée des libraires, gratuite) et/ou Electre (base de données des bibliothèques, payante et en déclin 😈).
Si le référencement n'est pas fait sur l'une ou l'autre, le contrat n'est pas valable.

Petit rappel de définitions [j'ai tendance à mélanger ces deux termes, et je ne suis pas la seule 😳] :
  • La distribution concerne tous les éditeurs et consiste en le stockage et la distribution physique aux librairies (y compris les sites de VPC comme Amazon), ainsi qu'au référencement sur Dilicom. Les petites ME sous-traitent généralement cette fonction à de gros éditeurs (comme Hachette).
  • La diffusion concerne surtout les gros éditeurs : il s'agit d'envoyer des commerciaux auprès des libraires, afin de faire de la pub et de placer leurs livres. Ce n'est pas rentable si la ME a un chiffre d'affaire inférieur à 150.000 € 😱
Retour au contrat avec la reddition des comptes : elle a lieu après la clôture comptable, et se fait généralement une fois par an (ça peut être plus souvent, comme tous les six mois, mais ce n'est pas un calcul facile, donc ça peut poser des problèmes à un éditeur, même bien intentionné).
Elle annonce donc les ventes (matérielles et numériques), les retours*****, les exemplaires envoyés en Service Presse (SP)... bref, toute l'activité du livre en question sur l'année écoulée. C'est à ce moment-là que sont versés les DA [voir note (*)], et ça doit avoir lieu au plus tard trois mois après la clôture comptable. Et donc, elle se fait en même temps pour le papier et le numérique.
Attention, l'année comptable ne correspond pas forcément à l'année civile, et dépend complètement de l'éditeur. La date doit figurer sur le CE.

Si la reddition n'est pas faite dans les temps, l'auteur a six mois pour la réclamer, et l'éditeur a alors trois mois (à partir de la date de réclamation) pour la donner. Si le problème se reproduit pendant deux ans de suite, le contrat est rompu.

On arrive maintenant à la durée de cessation des droits. En littérature blanche, la norme est souvent la durée maximale légale, soit soixante-dix ans après la mort de l'auteur 😱 Dans le domaine de l'Imaginaire, heureusement, ça dépasse rarement dix ans (ça vient du fait qu'en SFFF, on publie beaucoup de traductions, pour lesquelles la durée classique est de dix ans). En général, c'est plutôt cinq ans, avec une tacite reconduction de X années, spécifiée dans le contrat [X étant entre 1 et 5]. En littérature Jeunesse, ça peut être différent, mais Morgane ne connaît pas les normes en la matière [et moi non plus].
Quant au territoire sur lequel s'applique cette cessation, on trouve presque toujours la mention "tout territoire", qui signifie "le monde entier". Etant donné que dans un CE, rien n'est implicite et tout doit être explicitement noté, si je veux (par exemple) me traduire par moi-même en espagnol et vendre mon manuscrit à un éditeur hispanophone, je devrais faire mentionner sur mon contrat "tout territoire sauf l'Espagne"******.

Le CE évoque donc aussi les droits de traduction - avec des exceptions s'il y a lieu, cf ci-dessus - ainsi qu'une liste des droits pour les adaptations autres qu'audiovisuelles (lesquelles doivent donner lieu à une annexe distincte, comme évoqué plus haut) [comme les audiobooks ou, je crois, le théâtre]. Si ce n'est pas mentionné, le contrat n'est pas valable sur ce point (il ne s'applique donc que sur ce qui est spécifié).

Attention, c'est l'éditeur qui choisira la couverture du livre (ainsi que ses dimensions et son prix). On peut, comme dit tout à l'heure, faire ajouter une clause de droit de regard à ce sujet dans le CE [selon mon expérience personnelle et les échos des Grenouilles, même sans clause, l'éditeur a tendance à demander l'avis de l'auteur, ou au moins à lui proposer un choix entre plusieurs versions. Mais réclamer une clause n'est pas forcément inutile, surtout si on n'est pas fan du style graphique de la ME 😛].

Le tirage de la version papier (= le nombre d'exemplaires imprimés) doit figurer dans le contrat, sauf si l'éditeur pratique le POD (et dans ce cas, ce fait doit être mentionné).
De même, doit être indiqué le pourcentage de réduction de l'auteur quand il achète ses propres livres [pour en offrir à sa famille, par exemple].

On touche à présent au coeur de l'affaire : le pourcentage des DA. L'auteur est donc rémunéré au pourcentage des ventes réelles [ne comptent pas : les SP, le dépôt légal à la BNF, les exemplaires offerts suite à des concours... Leur nombre maximal devrait figurer dans le contrat]. En Imaginaire, on est dans les 10%, ce qui est considéré comme correct. En blanche, ça varie plutôt entre 8 et 12%, et malheureusement beaucoup moins en Jeunesse, qui sont en plus à partager entre l'auteur et l'illustrateur ! 😱 On trouve aussi des clauses d'augmentation du pourcentage en fonction du volume de ventes.
On notera tout de même que la question du volume des ventes a son importance : on peut gagner plus avec un petit pourcentage sur un gros tirage que sur un gros pourcentage d'un petit tirage...
Et n'oublions pas que l'éditeur lui aussi doit rentrer dans ses frais [surtout s'il s'agit d'une petite ME]. Certaines ME proposent des gros pourcentages allant de 15 à 25%. C'est bien... sauf si l'éditeur risque la faillite parce qu'il ne gagne pas assez...

Quand au numérique, le pourcentage devrait être au moins deux fois celui du papier.*******
Au passage, on dit que l'oeuvre numérique est homothétique, c'est-à-dire qu'il ne doit pas exister de différence entre papier et numérique lorsque les deux sont publiés chez un même éditeur.********
On notera que l'ISBN********* n'est pas obligatoire pour un ebook, mais que s'il existe, il sera différent de celui de la version papier [de la même façon qu'il sera différent entre une édition poche et un grand format].

On continue avec l'à-valoir. Il s'agit simplement d'une avance des DA, versée (selon comment le contrat le stipule) à la signature du CE ou à la publication de l'ouvrage. L'auteur ne le remboursera pas si jamais son livre ne se vend pas bien, mais en revanche, il ne touchera pas d'autres DA tant que le montant de l'à-valoir n'aura pas été atteint.
Selon Morgane, le principe donne une bonne image de de l'éditeur, c'est un gage de sérieux et d'engagement, même quand le montant est symbolique (50 à 100 €). La gestion des à-valoirs représente un peu de travail en plus pour l'éditeur, une raison supplémentaire qui fait que sa pratique est de moins en moins courante, même dans les grandes ME, hélas [ce qui fait donc qu'il peut ne pas être mentionné dans le contrat].

Attention, l'à-valoir est séparé entre papier et numérique [comme si on parlait de deux bouquins différends, quelque part], et le montant des DA gagnés sur l'un ne peut pas compenser la somme versée pour l'autre.

Le CE détermine aussi le pourcentage touché pour les adaptations [non audiovisuelles, je reprécise], la réédition en poche ou la traduction en langues étrangères (par contre, là aussi, il est difficile de mesurer ce que fait effectivement un "éditeur secondaire", cf ce qui a été dit plus haut sur les difficultés de contrôle).

Il peut aussi y avoir un système de rémunération (et donc un pourcentage) différent dans le cas où les "ventes" sont comptabilisées en termes de consultation par les lecteurs [comme pour les livres "en prêt" d'Amazon Kindle ?].

Un petit rappel sur le Prix Unique du Livre : il est valable un peu partout en Europe, mais on peut accorder une réduction de 5% maximum dessus. En théorie, il est aussi valable sur les ebooks... sauf que ceux-ci peuvent être sujets à des fluctuations, notamment en cas de promotions [comme les Grosses Ops de Bragelonne 😈 Par ailleurs, il me semble que si un ebook est en promo, le montant gagné dessus par l'auteur sera réduit en proportion - y'a intérêt à compenser avec le nombre de ventes !]

On va revenir sur le processus éditorial avec le Bon à Tirer (BAT) [autrement dit l'exemplaire donné à l'auteur, sous forme papier ou numérique, pour qu'il vérifier que le livre est prêt à être publié**********]. Son délai de validation par l'auteur doit figurer dans le contrat.

Les corrections éditoriales, elles, peuvent avoir lieu avant ou après la signature du contrat. Il n'y a pas de norme en la matière, notamment parce que la "perte de temps" est des deux côté au cas où un accord n'est pas possible [en tant qu'autrice, je préfère "après", bien sûr, mais je peux comprendre que certaines ME soient plus frileuses, notamment face à quelqu'un dont c'est le premier livre - Morgane est du même avis que moi, mais tous les éditeurs ne partagent pas ce point de vue].

On peut contacter la SGDL et les autres organismes du même genre pour leur faire "bêta-lire" un CE, mais il faut garder à l'esprit qu'ils ne seront pas toujours au fait des spécificités du domaine de l'Imaginaire ou du cas de l'édition en numérique ou POD.

En conclusion, il vaut mieux attendre sans éditeur que de signer avec le mauvais. Il est bien de pouvoir négocier poliment avec l'éditeur [comme je l'ai fait moi-même], surtout quand on a du mal avec le langage juridique ! L'idéal est toujours de trouver un éditeur qui vous respectera, sur le plan humain, et qui croira en vous. Le contrat n'a d'utilité que pour déterminer les droits et la durée, ET gérer les conflits qui peuvent découler d'une mauvaise relation. C'est comme un contrat de mariage, comme on me l'a très justement fait remarquer 😉




* : à ne pas confondre avec ce qu'on appelle "les droits d'auteur" (DA), qui correspondent aux sous que touche un auteur sur ses ventes.

** : autrement dit, l'auteur ne peut pas y renoncer, même volontairement. 

*** : Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse, association de défense des personnes en question.

**** : qui consiste à présenter en priorité ses prochains manuscrits à cet éditeur, et à lui laisser donc un droit de préemption dessus.

***** : c'est-à-dire les livres qui ont été pris par les librairies mais renvoyés car invendus. Ca peut coûter très cher à un éditeur, ce qui explique qu'on trouve rarement des livres de petits éditeurs en librairie...

****** : et les autres pays hispanophones, j'imagine. J'aurais dû choisir un autre exemple de langue et pas reprendre celui de Morgane 😛 En plus, je parle même pas Espagnol 😆

******* : attention tout de même à la différence de prix : pour prendre l'exemple de Ceux qui vivent du sang versé, je touche 10% sur une vente papier à 22€, et 30% sur une vente numérique à 6€99... ce qui fait environ 2€ pour chaque, quel que soit le support. A titre personnel, je considère qu'un ebook est trop cher s'il dépasse 1/3 du prix papier.

******** : pour info, j'ai déjà vu le cas (évoqué vite fait ici) d'un roman édité en papier chez X et en numérique chez Y. Heureusement pour l'auteur, je crois que les deux étaient d'accord pour publier la même version 😁

********* : International Stantard Book Number : un identifiant unique qu'on associe, en pratique, au code-barre du bouquin 😉

********** : selon mon expérience (et pas que personnelle 😁) c'est toujours après avoir rendu le BAT et vu son livre publié qu'on se rend compte qu'on a laissé passer une paire de coquilles... 😱

Commentaires