Etre ou ne pas être original

Je sors un peu de ma retraite pour parler d'un sujet qui a fait surface cette semaine sur Touittère : l'originalité.

 

Ouais, quand j'étais môme, je croyais qu'Orignal s'écrivait avec un i de plus 😳
(image Wikipédia)

 

Avez vous-lu l'excellent Les trois médecins de Martin Winckler ? A peu de choses près, il reprend le "script" des Trois Mousquetaires, transposé dans un hôpital français des années 70.

Peut-on parler d'originalité, quand la trame reprend toutes les étapes d'une autre oeuvre* ? Je dirais oui, parce que selon moi, le traitement, l'environnement, donnent une autre tournure, voire un autre point de vue à l'histoire de base.

Je vois sinon passer de temps en temps des "j'ai une idée géniale, je voudrais l'offrir à quelqu'un pour qu'il écrive un bouquin dessus" (et sa variante "que dois-je faire pour empêcher qu'on me vole mon idée ?").

La réponse est toujours "une idée seule ne vaut rien" et son complément "c'est le développement qui rend les choses uniques". Il y a encore quelques décennies, dans le domaine de la SF en particulier, on pouvait encore trouver des idées "vraiment" nouvelles, des concepts ou juste des associations d'éléments qui n'avaient encore jamais été testés. Maintenant, ce n'est plus le cas, ne nous leurrons pas, tout a déjà été fait.

Mais l'originalité se cache ailleurs. Comme dans mon premier exemple, on peut reprendre une trame et en changer le cadre. Ou partir d'une situation rebattue et en détourner les clichés. Au pire, c'est le style qui fera la différence**

Et puisque je parle de clichés... En français, le terme a forcément une connotation négative, c'est une "expression rebattue", quasiment l'antonyme de l'originalité. En anglais, on parle plutôt de "tropes"***, qui reprend cette notion de "lieu commun", mais sans le moindre côté péjoratif.

L'avantage des tropes, c'est qu'on peut facilement les détourner. Un peu comme une recette de cuisine : on prend les ingrédients et on fait à sa sauce. Et à l'image de la sauce aux câpres sans câpres, on peut se retrouver avec quelque chose d'inattendu au final.

Pour prendre un exemple excessivement classique : le preux chevalier qui va sauver la princesse du dragon. On l'a lu tel quel mille fois...

  • mais ça pourrait se passer dans l'espace, avec un dragon extra-terrestre.
  • mais le chevalier pourrait être une vraie pourriture qui ne fait ça que pour l'argent.
  • mais il s'agirait en fait de sauver un dragon en voie d'extinction de la cupidité d'une princesse.
  • mais...
  • mais ça pourrait être tout ça à la fois.

Dans chacun de ces exemples, on tire les éléments de base dans une direction "nouvelle" (on notera cependant que certains "contre-clichés" ont fini par devenir des clichés à leur tour). J'en profite pour évoquer l'atelier "créativité" suivi il y a quelques années, qui peut aider à faire le tri dans les détournements possibles et éviter les plus évidents.

Beaucoup d'auteurs (débutants) ont tendance à penser que l'originalité est essentielle dans une oeuvre. Ils n'ont pas tort sur la forme... mais sont dans l'erreur parce qu'ils se réfèrent à la définition "classique" du concept. Ils mettent toute leur énergie dans le décor (ou dans un autre concept "unique"), mais on se retrouve au final avec une histoire très convenue, qui ne peut sortir du lot que par ce seul "point d'originalité".

Alors c'est vrai qu'on peut réduire un manuscrit à un pitch percutant, mais justement, c'est une réduction. On part d'un texte qui peut (doit ?) être riche et complexe, et on le simplifie en une poignée de phrases. Le processus inverse, qui partirait d'un tel résumé pour s'étendre en un roman entier, a besoin d'être enrichi d'autres ingrédients pour être mené à bien****. Il n'y a pas de "ajoutez de l'eau et c'est prêt", en écriture.

Comme je l'ai dit en conclusion de mon exemple au-dessus, "mais ça pourrait être tout ça à la fois". Parce que évidemment, ça serait trop facile 😈 si un seul "renversement de trope" suffisait à assurer l'originalité d'une histoire (encore une fois, ça eût été vrai à une époque, mais plus aujourd'hui).

C'est d'ailleurs pour ça qu'on conseille aux auteurs de beaucoup lire : certes, ça permet de grappiller des idées intéressantes chez l'un ou l'autre, mais aussi (surtout ?) de se familiariser avec les tropes du genre, afin d'éviter de prendre pour novateur une idée éculée parce que c'est la première fois qu'on la rencontre soi-même.*****

Pour finir, je dirai donc : ne cherchez pas à être original à tout prix, surtout que l'originalité se cache là où on ne l'attend pas. Commencez déjà par terminer votre premier jet******, il sera toujours temps de le relire d'un oeil critique et de voir comment l'améliorer en pourfendant les dragons des tropes éculés.



* : du domaine public, hein, je ne cautionne pas le plagiat.

** : mais c'est quand même plus visible en dessin, disons, qu'en écriture.

*** : qui est un faux ami : en français, c'est juste un synonyme de "figure de style", donc rien à voir. Perso, je l'utilise toujours au sens anglo-saxon.

**** : c'est un peu le principe de la méthode du flocon - qui ne me convient pas personnellement, mais j'ai plein de collègues qui l'adorent.

***** : je garde un bon souvenir global de mes lectures de David Eddings, mais honnêtement, la plupart de ses sagas sont des clones les unes des autres, et j'ai abandonné la dernière (Les rêveurs) en cours de route tellement j'en avais marre d'y retrouver toujours la même chose.

****** : ouais, je sais 😩

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