Les marécages de l'écrivain

C'est en me baladant sur Touittère que je suis tombée sur cette intéressante question (merci à Alexandre Robespierre) : "est-ce que ça vous arrive de vous enliser en écrivant ?".

Et ma réponse est "oui, tout le temps".


Les Marais des Morts du Seigneur des Anneaux.

 

J'imagine que c'est un problème qui concerne les Jardiniers de façon plus visible que les Architectes, encore que ces derniers peuvent avoir un souci voisin pendant la mise en place de leur(s) plan(s).

Personnellement, j'ai deux types de manuscrits :

  • ce que ma pote Florie appelle des "défoulivres" : des histoires que j'écris sans savoir où elles vont, et surtout, sans chercher à le savoir. Mon but est purement de me faire plaisir en les écrivant, quitte à sombrer dans la facilité scénaristique. Pas de pression, donc, ni vraiment d'ambition sur le "quoi faire du résultat final". Trois Bâtards et Le dératiseur entrent dans cette catégorie, ainsi que certaines histoires du Darksideverse.
  • les projets plus sérieux, que je veux pouvoir publier un jour, et dans lesquels je suis plus investie. Ce qui a le défaut de générer du stress (contre-productif, hélas). Symbiotes en fait partie, ainsi que la future suite à peine ébauchée de Ceux qui vivent du sang versé.*

Le phénomène d'"enlisement" me touche davantage pour les romans de la première catégorie que pour ceux de la seconde... ce qui ne veut pas dire qu'il épargne ces derniers !

Parce que quand j'ai une idée d'histoire qui semble tenir la route, ça se présente souvent sous la forme "alors, j'ai tel et tel persos (qui ont telles caractéristiques), je les vois dans telle scène à un moment, et j'aimerais qu'il se passe tel truc plus tard".

Rien de très "solide", donc 😁, mais ça suffit à me lancer. Ce qui se passe ensuite, c'est qu'au fur et à mesure que je me familiarise avec mes personnages et mon univers, j'ai d'autres "visions" et idées de scènes qui me viennent à l'esprit. Quelques fois (comme ça a été le cas pour CQVDSV et Symbiotes), ces jalons supplémentaires sur le chemin apparaissent assez vite. Mais dans le cas des défoulivres, c'est plus aléatoire : la situation que je visualise n'est pas forcément intégrable à court terme, par exemple, ou alors elle me demande trop de vérifications de sa validité pour que j'arrive à me faire une idée précise de ce qui en découlera.

Et donc, je me retrouve régulièrement devant un "et maintenant, qu'est-ce qui pourrait bien se passer ?".

Je note aussi ses variantes :

  • "qu'est-ce qui pourrait bien se passer en attendant d'arriver à cette scène que j'ai hâte d'écrire mais qui ne peut pas avoir lieu plus tôt ?" (pour ceux qui suivent, c'est un problème que j'ai croisé plusieurs fois dans Le journal d'Anya**).
  • "qu'est-ce qui doit se passer maintenant pour me permettre d'arriver au jalon suivant ? (j'ai eu le cas dans CQVDSV, avec Artémis qui me faisait des misères).

Et en fait, parce que je commence à comprendre un peu comment je fonctionne en tant qu'autrice, ma solution est presque toujours "aller fouiller dans les personnages et leurs motivations".

J'ai tendance à considérer que les intrigues (en tant qu'entités narratives), ce n'est pas mon truc. Avant que vous partiez en courant et cliquiez sur "annuler mon achat de CQVDSV" 😛, je vais préciser ce que j'entends par là : simplement que ce n'est pas la pierre angulaire sur laquelle je vais baser mon histoire.

Il y a des gens (majoritairement des Architectes, je suppose), qui commencent un projet en mettant en place leur intrigue en premier lieu. "Il va se passer ça, ça et ça, avec tel et tel rebondissements", et c'est ensuite seulement que les personnages apparaissent, conçus pour répondre aux besoins du scénario (à la réflexion, c'est un peu le principe d'une partie de jeu de rôles, quelque part).

Moi, je préfère me baser d'abord sur les participants : protagonistes et antagonistes, avec leur personnalité et leurs goûts et leurs buts. Si j'ai besoin d'un méchant qui se comporte de telle manière, je vais aller chercher des raisons pour qu'il le fasse, qui soient au moins justifiables à ses yeux (n'oublions pas que chacun est le héros de sa propre histoire !).

Bref, même si je ne crache pas sur un brainstorming une fois de temps en temps, quand je me retrouve "coincée" dans ma trame narrative, c'est souvent le signe que je dois me plonger davantage dans les tréfonds de chacune des entités impliquées. "Untel n'aime pas se retrouver en position d'infériorité, donc il ne va pas arrêter de provoquer Machin. Voyons sur quels point ils pourraient s'affronter ?". "Untel a un secret (sans forcément de rapport avec l'intrigue principale, d'ailleurs), mais qu'il ne veut pas voir dévoilé. Qu'est-ce qui pourrait bien lui arriver qui menacerait de le rendre visible ?".

Dans certains cas (je me demande si je n'en ai pas parlé quelque part ici 🤔), ça se traduit par "il faut que je réécrive ma dernière scène, parce qu'Untel n'aurait pas dû réagir comme ça (ou avait des options de réaction plus intéressantes, que je n'ai pas vues sur le coup), et que ça a conduit tout le monde dans une impasse".

Je vais aussi noter une piste dont je me sers parfois (encore que vu ma façon de travailler, j'y ai toujours recours avant de me considérer comme enlisée) : le "qu'est-ce que j'ai oublié ?" 😁

J'entends par là les aspect du scénario que j'ai (ou que mes personnages ont) négligé au premier abord.

Personnellement, je suis très à cheval sur la "logique", ou, plutôt, sur la cohérence. Par exemple, si un crime est commis, il y aura une enquête. Il peut y avoir une excuse*** pour que ça ne se produise pas, mais il vaut mieux que ça soit bien amené en amont. Même s'il n'y a pas d'autorités pour lancer ça de façon formelle, la victime peut avoir des alliés qui chercheront à en savoir plus, et éventuellement se venger. Dans un autre registre, si Untel quitte précipitamment son auberge suite à une tentative d'assassinat, le tenancier va peut-être lui coller la Garde sur le dos parce qu'il aura oublié de payer.

Bref, il s'agit de vérifier les implications des actions des personnages, et d'y chercher la petite bête (voire la grosse, vous n'imaginez pas ce qu'un auteur peut négliger, parfois 😳) pour relancer une intrigue faiblissante.

Après, les conséquences ne sont pas les mêmes selon la nature du manuscrit : dans un défoulivre, le déblocage est plus souvent nécessaire (donc moins efficace sur le long terme, quelque part), puisque de toute manière, je ne sais pas où je vais.

Dans tous les cas, il ne faut pas désespérer.

Une des raisons pour lesquelles j'ai toujours plusieurs projets "en cours"****, c'est que même avec les solutions proposées plus haut, il n'y a pas de miracle, et surtout, ce n'est pas instantané. Donc plutôt que de m'obstiner à désenliser le projet A, je vais plutôt revenir sur le projet B, pour lequel j'ai justement eu des idées intéressantes alors que je bossais sur tout autre chose.*****

Bref, bon courage, bon creusage, et n'hésitez pas à vous changer les idées si jamais vous vous sentez dans une impasse 🙂

 

PS : Le NaNo avance à un rythme allant de "correct" à "satisfaisant". La régularité est dans les choux, comme d'hab, mais je suis quand même à 80% de mon objectif alors qu'il me reste encore la moitié du temps ! 😎



* : quant au Journal d'Anya, je ne sais toujours pas quoi en faire, donc il est un peu à cheval sur les deux 😳

** : et auquel je n'ai pas toujours trouvé de solution, hélas 😩

*** : honnêtement, tout est justifiable... à condition de bien le faire.

**** : pas forcément au même stade ou à la même priorité, cependant.

***** : je ne sais pas pour vous, mais moi, ça m'arrive tout le temps 😁

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