Sois un homme !

Je parlais, en début d'année, de la question des Trigger Warning.

Récemment, le webzine ActuaLitté, a offert deux tribunes (une sur les TW, l'autre qui mélange appropriation culturelle et sentitivity readers) à un éditeur nommé Stephen Carrière*. Et franchement, ils auraient pu s'abstenir.**

Les deux s'inquiètent de la censure, de la liberté d'expression, la "cancel culture", la bien-pensance...

Peut-être que je me trompe en supposant que M. Carrière est un homme blanc cis hétérosexuel, mais franchement, ce qu'il dit sonne très fort comme le "ouinouin on peut plus rien dire" qu'on trouve dans la bouche d'iceux dès qu'on commence à leur reprocher des comportements problématiques.

Je comprends par contre (cf mon article sur les TW) certaines inquiétudes : les normes sociales changent, on se soucie davantage de l'opinion et du bien-être des minorités, et ça a pour conséquence de nouveaux protocoles, peut-être pas encore assez affinés***, et qui, donc sont nouveaux donc effrayants.

(Parce que la nouveauté effraie toujours, au début. Et puis on s'adapte).

J'ai eu le malheur de vouloir exprimer mon avis en commentaire (sur la question des TW) 🤦

Un des intervenants, particulièrement remonté, criait non seulement à la censure mais argumentait sur le "je suis un adulte, je n'ai pas besoin de ça".

Tant mieux pour toi, Cricri****, mais tu te trompes : tu es un adulte sans traumatisme, qui est capable d'encaisser la lecture de sujets durs, même des trucs gore que tu n'aimes pas. Est-ce que tu es en train de dire que Untel n'est pas un adulte parce qu'il souffre de PTSD ? Ou que ça en fait une mauviette, peut-être ?

Moi même, en tant que femme blanche cis hétéro, j'ai mis du temps à comprendre à quel point d'autres personnes étaient défavorisées par rapport à moi : je veux dire, je sais qu'elles le sont, mais, ne l'ayant pas vécu moi-même, j'ai du mal à concevoir ce que c'est de le vivre, de le subir chaque jour au quotidien.

Et donc, de quel droit je pourrais me permettre de dire "oh, c'est bon, grandis un peu !" ? Parce que c'est exactement ce que tu dis, Cricri. "Sois un adulte !" "Sois un homme !" Et même, ce que je trouve assez ironique, "si tu as peur de X, n'en lis pas".

Ben justement, Cricri, c'est à ça que servent les TW. Parce que quelqu'un qui a, mettons, un TW sur le sang, n'ira probablement pas lire un polar "classique", il n'est pas stupide non plus*****. En revanche, s'il a porté son choix sur une romance historique, il ne s'attend pas à ce que, par exemple, ça commence par un duel avec du sang partout...

Quant aux sensitivity readers, je crois qu'ils ne font peur qu'aux gens qui ont peur de se retrouver face à leurs propres préjugés. L'autre jour, une copine autrice, racontait (je résume) "je pensais avoir bien écrit sur X, mais mon SR m'a montré que je me trompais, et du coup, j'ai pu écrire un truc encore meilleur". J'imagine que ça n'a pas dû être agréable à entendre, sur le coup, mais franchement, est-ce différent du processus de bêta-lecture classique ?

Voilà. Le monde change, deal with it.

 

Les vrais hommes n'ont pas peur de leur part de féminité.

PS : moi qui ne savait pas quoi dire cette semaine, parce que je n'ai pas beaucoup avancé sur Trois Bâtards (même si j'ai bien rempli mon quota hebdomadaire), je peux au moins me "réjouir" que ce genre d'indignation mal placée m'ait fourni matière à un article 🙄




* : il est peut-être connu, mais je ne sais pas qui c'est.

** : et du coup, j'ai la flemme de mettre les liens.

*** : je dis ça pour ratisser large, et parce que le cas cité (la traduction de la poète Amanda Gorman) me fait l'effet d'avoir été résolu de façon un peu rapide - mais c'est un autre sujet.

**** : c'est mon blog, je l'appelle comme je veux 😛

***** : ou alors il demandera à quelqu'un qui l'a lu avant - mais on s'éloigne du sujet.

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