Ouest Hurlant 2024 : Quand l'Imaginaire défie le capitalisme

 

Quand l'Imaginaire défie le capitalisme

 

Comme tous les ans, avertissements de rigueur : je retranscris ici les notes que j'ai prises pendant la conf ; il est donc tout à fait possible que j'aie fait des contresens et tout à fait certain qu'il manquera des bouts (sans parler du côté décousu et de ma difficulté à me relire 😳). Les éventuels commentaires entre [ ] sont de moi, et les passages entre guillemets sont censés être des citations.

Intervenants : Mélanie Fievet (autrice de Khoine), Denis "Batman" Colombi (sociologue et auteur de Où va l'argent des pauvres*), Alice Carabedian (autrice de Utopie Radicale), Patrick K Dewdney (auteur de Ecume).**

Modérateur : JB Kamen.

 


C'est quoi, le capitalisme ?

DC : C'est une société où on cherche légitimement le profit pour lui-même. Ca date du XVIIe siècle, "le profit pour un profit encore plus grand", "on aura une société qui fonctionne bien si tout le monde cherche le profit".
Nos sociétés [actuelles] ne sont pas que capitalistes, mais elles le valorisent (et elles sont aussi patriarcales).
On retrouve l'idée que c'est un système naturel. "Bouffer ou être bouffé", comme les zombies, est un fantasme capitaliste.
Mais dans l'histoire humaine, le capitalisme est présenté comme neutre, en opposition aux sociétés d'abondance où on produit peu mais on désire et consomme peu.

PKD : La question est libérale. Il y a une vraie définition, qui ne dépend pas du point de vue de la personne à qui on la demande.

DC : On n'est pas d'accord sur la date de début du capitalisme.

Comment le capitalisme arrive-t-il à se vendre lui-même ?

MF : Il absorbe sa critique et vous la revend de manière cachée et sournoise. Il vous vend qu'il n'y a pas d'alternative, sauf des dystopies odieuses et cannibales [on en revient aux zombies ci-dessus]. "Sinon, on est des utopistes bisounours".

AC : Et il se présente comme une utopie réalisée, ce qui pose la question : comment peut-on garder un espace de liberté hors du capitalisme ?

DC : Il promet sans cesse des avenirs désirables, comme conquérir Mars ou fonder des colonies spatiales. Le capitalisme est ouvert vers l'avenir et les profits futurs. Peu importe si ça se produira ou non, l'important est que des sous soient investis dedans.
Il nous faut des utopies autres.

PKD cite Michael Moore : "le capitalisme vendra la corde pour le pendre".

JBK évoque la "libération de l'individu par l'accumulation des richesses. Est-ce que l'industrialisation a fait passer des liens communautaire à des liens sociétaires ?

DC : Marx reconnaissait que le marché était révolutionnaire et libérateur (notamment l'émancipation des femmes par le travail).
L'individu passe avant le groupe et permet donc une forme de libération.

MF évoque le trope "un héros et sa team sauvent le monde" : ce n'est pas raconté comme un récit collectif  (et on fait de l'héroïsation de la trajectoire individuelle).

PKD : Le capitalisme vide les choses de leur sens avant de les reprendre.
Tous les grands récits sont des révolutions, mais ça sert une mise en scène de récits capitalistes (cf Star Wars ou Hunger Games).

Est-ce qu'on refait les mêmes récits à cause du capitalisme ?

PKD : Oui, parce que le contexte génère les histoires. Il évoque le "main character syndrome"***.

MF : On défie le capitalisme... et on ne parle que de lui. Il s'impose dans la conversation même quand il en est le méchant. Il nous faudrait un test de Bechdel pour le capitalisme ?

DC : On peut en créer un pour savoir si un récit est capitaliste ou pas.
Il faut s'appuyer sur des choses connues pour le lecteur.
Il cite l'exemple des boutiques, au sein des jeux vidéo, qui affichent des prix pour leurs objets, ce qui n'est pas du tout réaliste dans un cadre médiéval.

AC évoque de l'Utopie de Thomas More.
Les histoires s'arrêtent là où ça devient intéressant, cf Hunger Games ou Time Out. Ca s'arrête après le "on a gagné", mais on a pas le "qu'est-ce qu'on fait, maintenant ?".

MC : J'avais envie d'écrire ce qui se passe après. Il faut qu'on pense à ce qui se passe. Les autres ne sont pas là pour nous fournir un mode d'emploi.Ce sont des exercices de pensée pour évoquer des altérités.

PKD : La Droite fait peur en faisant croire que les utopies vont imposer leur vision du monde. Et juste poser des interrogations est présenté comme agressif.

MF : Cf utiliser des pronoms inclusifs, qui est vu comme une agression militante.

DC : Ayn Rand a décrit des utopies capitalistes [qui sont complètement foireuses, notamment sur leurs prémices].

AC : Elle n'emploie pas le terme d'utopie pour désigner les utopies capitalistes [j'avais noté la raison... mais impossible de me relire 😳].

Est-ce que la SF est l'enfant béni du capitalisme, ou est-ce que la Fantasy (ou autre) aussi ?

DC : La SF est fille du capitalisme, et les deux sont très liées. Les deux ont besoin de se projeter dans un avenir ouvert. Même la SF soviétique était capitaliste.
La SF peut vendre le capitalisme, mais elle le critique aussi. Cf Star Wars, qui est très Fantasy, notamment parce que son côté SF est peu capitaliste.

PKD : Les humains sont des êtres à histoire [le fameux pan narrans de Pratchett]. La Fantasy est issue du mythe. Et l'une des fonctions du mythe est de poser les bases d'un langage commun, et donc de faire société d'un point de vue culturel.
La Fantasy permet de prendre le problème en amont du système capitaliste néolibéral.

Est-il plus facile d'imaginer la fin du capitalisme que la fin du monde ?

AC : La Culture de Banks [on m'en a dit le plus grand bien mais je n'ai pas encore testé] est une alternative intéressante. C'est une société Anarchique, mais il y a eu beaucoup d'erreurs d'interprétation de cette oeuvre.

MF cite Usula Le Guin et Octavia Butler [et d'autres, ainsi que le concept d'anarchie]. Il faut résister à l'idée qu'on se fait bouffer s'il n'y a plus de capitalisme.

PKD cite Un pays de fantômes, de Margaret Killljoy, avec une société anarchique. C'est une économie de distribution et pas d'échanges.

DC : Les anthropologies ont étudié les [univers avec invasions de] zombies, c'est capitaliste (et c'est plus facile à gérer dans des situations comme le Covid). Il y a moins de monde et plus de petits groupes.

AC : Le problème du post-apo, c'est qu'il élimine beaucoup de monde, et une fois que c'est fait, tout est plus facile.

JBK cite le sociologue Bernard Friot et Eutopie, de Camille Leboulanger.

Quid des gadgets utiles offerts par le capitalisme et la mondialisation ? [question du public ?]

PKD pense que le capitalisme gagnerait sur ce domaine. Mais il peut y avoir des alternatives.

MF cite OSS117 sur le communisme. Mais en "low(er) tech", il y a des trucs bien aussi.

DC : Il faut se méfier des gadgets qui font rêver. Il ne faut pas oublier leurs implications et la focalisation sur les "mauvaises" solutions.

[Question du public] On nous présente des sociétés anarchiques, mais pas assez les gens qui vivent dedans.

DC : Il faut à la fois décrire le monde et les gens qui y vivent.

AC re-cite la Culture.

PKD re-cite Le Guin.


 

* : lisez-le, c'est très accessible et très instructif !

** : je n'ai pas cité tous les ouvrages de chacun.

*** : "syndrome du personnage principal", une forme de narcissisme qui fait qu'on se considère comme la seule personne importante (en gros).

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