Imaginales 2016 : "La Fantasy est-elle toujours réac ?"

Affrontements sanglants, héros brutaux, femmes soumises... : 

la Fantasy est-elle toujours réac ?


Dernière conférence à laquelle j'ai assisté. J'ai bien aimé l'ambiance "tribunal", bien que j'aie regretté que certains (Cerrutti, en particulier) ne se soient pas assez bien défendus, ce qui sous-entendrait qu'ils sont bien coupable de ce dont on les accuse...

(Pas d'image, il semblerait que cette conf-ci n'ait pas été enregistrée par ActuSF).

Accusés : G.D. Arthur (Eos), Fabien Cerutti (Le bâtard de Kosigan), Jean-Philippe Jaworski (Gagner la guerre, Janua Vera, Rois du monde), Gabriel Katz (La maîtresse de guerre, Le puits des mémoires).
Juge et bourreau : Stéphanie Nicot, qui a introduit la plaidoirie de chacun des auteurs par des extraits de leurs oeuvres.

Une dernière fois, sujet à erreurs, blabla, propos pas verbatim, mes commentaires sont entre [].

GK : Le monde de La maîtresse de guerre [qui se déroule dans le même univers que Le puits des mémoires, que j'ai bien aimé] ressemble beaucoup au nôtre. J'ai voulu me mettre dans la peau d'une femme après trois tomes de testostérone [c'est vrai que les femmes sont sous-représentées dans Le puits 🙁] et faire face à mes propres contradictions. Kaelyn est fille de maître d'armes et se fait prendre de haut, se fait rabaisser en tant que femme. L'illustration [de l'édition Scrinéo] est jolie en soi, mais elle est stéréotypée et la montre les fesses à l'air [pas exactement, mais oui, la pose est plus sexy que martiale 😒], je ne me retrouve pas dedans.

FC : Dans Le bâtard de Kosigan [j'en avais entendu parler l'an dernier, lors de la conférence "Mercenaires et tueurs", et ça m'avait fait envie. Néanmoins, cf plus loin, l'auteur s'est un peu emmêlé dans sa défense, du coup, ça m'a un peu refroidie], le sexisme est plus le fait du personnage que celui de l'auteur. D'ordinaire, on me reproche plutôt un manque de personnages féminins. Mon monde est le vrai moyen-âge, qui est un monde ultra violent et ultra sexiste. Il y a plusieurs personnages féminins, mais beaucoup en pincent pour le héros, qui est un "James Bond médiéval".
J'ai fait attention, dans le tome 2, à mettre moins de sexisme. De plus, si le personnage du bâtard est sexiste, c'est parce que ça s'inscrit dans son époque, ça ne serait pas vraisemblable sinon. D'ailleurs, mon personnage masculin se fait violer par une femme.

GK : Mon héroïne n'est pas soumise et est brutale. Elle se bat "comme un homme", et pas avec des "armes de femme".

JPJ : Ne confondez jamais l'auteur (qui est scandalisé par les propos de son personnage !) et le narrateur !* La scène où Benvenuto [personnage principal de Gagner la guerre - on ne peut pas parler de héros ^^] viole Clarissima est un moment de cynisme total**.

SN : Quel est l'objectif narratif d'une telle scène ?

JPJ : Je n'avais pas prévu une telle scène, mais ça a dérapé. Je voulais mettre mal à l'aise mon public en adoptant le point de vue d'un type abominable et jouer avec la sympathie du personnage. Benvenuto a un peu la trouille, mais pas d'états d'âme : c'est une question politique (à l'origine, Clarissima veut contrecarrer les plans de son père en couchant avec Benvenuto).

SN : Les lecteurs ne font pas toujours la différence entre le narrateur et l'auteur, il faut faire le tri entre les scènes gratuites et celles qui sont nécessaires.

GDA : Eos se vit comme un poète et se découvre être un monstre. Il cherche à se "réincarner" dans les bras de son amante. La puissance de l'affection ramène la personne en perdition à la surface.

GK : Il y a beaucoup de violence dans Le puits des mémoires, une spirale qui entraîne les personnages. Ceux-ci se sont construits à partir de rien, en improvisant [ils commencent l'histoire amnésiques]. Certains étaient très violents avant et sont confrontés à cet élément qui fait partie d'eux.

SN : Est-ce que mettre en scène la violence est une malédiction de la Fantasy ? 

GK : La violence est le fond de la Fantasy, le lecteur aime ces bains de sang. Les personnages sont déchirés entre leurs aspirations de paix et un monde violent.
JPJ : Sans lecteur pervers, pas d'auteur coupable !***

SN : Le monde de Gagner la guerre est très violent, avec un narrateur sans empathie. Est-ce que la Fantasy est violente parce que notre monde est violent ?

JPJ : La Fantasy est violente parce qu'elle puise une partie de ses modèles dans les romans de chevalerie et les épopées. Mais on peut créer une Fantasy moins violente, plus paisible. Cependant, ce n'est pas moi qui ai choisi Benvenuto comme personnage de Gagner la guerre : j'ai choisi entre les deux personnages les plus populaires de Janua Vera [recueil de nouvelles qui se passe dans le même univers et que je recommande chaudement] : Suzelle et Benvenuto [Et vu que Le conte de Suzelle raconte toute la vie du personnage, elle ne pouvait donc pas "resservir" ici].
La Fantasy est cathartique, elle permet d'évacuer les vilenies qui hantent auteurs et lecteurs.

FC : [Après l'évocation d'une scène où un gamin se fait éventrer par un démon déguisé en bébé] le monde médiéval est violent, mais à l'inverse du nôtre. Notre monde est quand même plus policé (sauf si GK est de sortie***). Au XVIe siècle, à Dijon, 50% des filles se sont fait violer dans leur jeunesse. Aujourd'hui, le risque existe et est médiatisé, mais en réalité c'est rare, et heureusement [je ne vais pas épiloguer là-dessus, j'ai compris ce qu'il voulait dire, mais même si la situation des femmes est meilleure aujourd'hui qu'au moyen-âge, ça ne veut pas dire que c'est le paradis. Je pense qu'il ferait bien de s'intéresser au harcèlement de rue, par exemple...].
La violence dans les films etc. est de plus en plus trash, parce que ça n'existe plus à notre époque [no comment...], mais notre instinct animal atavique la recherche.

GDA : En abattant deux cavaliers, Eos découvre son propre côté prédateur. Mais c'est juste une métaphore d'un conseil municipal [it makes more sense in context, comme on dit]. J'ai choisi la Fantasy parce que ça éclaire les situations avec du lyrisme et de la poésie, ça donne du relief aux situations qu'on veut mettre sous le projecteur.

SN : Les personnages de Rois du monde ont un rapport à la violence très différent de ceux de Gagner la guerre...

JPJ : Dans Gagner la guerre, les personnages ont conscience que ce qu'ils font est immoral [ce qui ne veut pas dire que ça les préoccupe 😛]. Dans Rois du monde, la violence est normale au sein de l'aristocratie, la violence est héroïque. Cf Moses Finley, le héros grec se caractérise par sa force, et la société s'articule autour de ça. Dans Rois du monde, la violence est légitimée : ce sont des aristocrates, donc ils guerroient. Le problème, c'est quand ils se retournent les uns contre les autres et détruisent leur communauté.

Verdict : 


Tous les accusés ont été reconnus coupables de héros brutaux et affrontement sanglants, mais comme les lecteurs aiment... ^^

En ce qui concerne les femmes et le sexisme : 
GDA a été acquitté.
GK a été acquitté au bénéfice du doute.****
JPJ a été acquitté au bénéfice du doute [mais c'était inévitable, vu la qualité de son argumentaire 😉*****].
FC a été reconnu coupable.





* : phrase que je certifie authentique, "!" compris ^^

** : les circonstances sont assez particulières, ce qui fait que je ne peux pas m'empêcher de rigoler en y repensant. Attendez de l'avoir lue pour me balancer des cailloux.

*** : j'ai un doute que ce soit bien lui qui l'ai dit, mais ça a été dit ^^ 

**** : j'avoue que j'ai un trou sur le verdict exact, j'étais pressée, j'avais un train à prendre😉

***** : fangirl spotted ^^

Commentaires

  1. En tout cas, avec de tels argumentaires, ce n'est pas demain la veille que je vais me remettre à lire de la fantasy... ^^ (sincerely, il y a vraiment des points de vue que je ne partage pas, c'est hyper réducteur pour le genre dans son ensemble !)

    Merci pour l'article, le tour de table devait être quand même bien sympa, même si j'aurais bien grincé des dents si je l'avais suivi.

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    1. Je te recommande quand même les Jaworski, il a une maîtrise de la langue impressionnante, c'est un vrai plaisir.

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    2. Non, je crois vraiment que ce n'est pas pour moi. ;)

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